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12 octobre 2008 7 12 /10 /octobre /2008 16:50
 "Esclaves noirs, maîtres blancs.
Quand la mémoire de l’opprimé s’oppose à la mémoire de l'oppresseur."

 
 par S.K.

A la question "Est-on sorti de cette mentalité (colonialiste) aujourd’hui ?", Aimé Césaire répond : "Tout dépendra de l’attitude des Nègres. Tout dépend de la manière de se comporter. Vous croyez qu’il suffit de dire ça pour que les Blancs baissent la tête ? Il faudra s’organiser. Il faut être résolu. Il faut montrer une certaine dignité, une espèce de résistance. Pourquoi voulez-vous qu’ils nous fassent des cadeaux ? Mais non. Soyons raisonnables" !

Passionnant ! Cet ouvrage collectif, dédié à François-Xavier Verschave (1945-2005) et à la mémoire de toutes les victimes de la traite atlantique et de l’esclavage, propose une autopsie détaillée de la traite et de l’esclavage des Noirs. De nombreuses contributions reviennent de manière éclairante sur les conditions dans lesquelles ce crime contre l’humanité a permis l’instauration de la suprématie blanche et l’expansion capitaliste à l’échelle de la planète en bénéficiant de la légitimation des plus hautes autorités de l’Eglise. Le terme autopsie est-il d’ailleurs approprié alors que le cadavre est loin d’être encore mort ? La domination du monde blanc, l’oppression du continent africain et le racisme anti-Noirs au sein des puissances occidentales constituent à ce jour l’une des principales caractéristiques de la « civilisation » moderne. Mais ce livre rappelle également les multiples luttes menées par les Africains et les esclaves eux-mêmes et qui ont conduit à l’abolition de l’esclavage.

 

Une question centrale charpente cet ouvrage, celle de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage ; une histoire occultée, falsifiée, dominée, une mémoire bâillonnée, étouffée, délégitimée, pour assurer la bonne conscience de l’Occident et justifier la perpétuation de l’oppression raciale dans la multiplicité de ses formes (économique, politique ou culturelle). Leur réhabilitation apparaît ainsi comme l’un des enjeux majeurs des combats pour l’émancipation humaine. La reconnaissance générale du plus terrible des crimes contre l’humanité s’impose en effet comme un impératif moral et politique incontournable comme cela a été fait pour d’autres génocides (notamment des Arméniens et des Juifs).

 

Reste la question des « réparations ». La plupart des contributeurs à cet ouvrage sont favorables à cette revendication qui, comme l’exprime Louis Sala-Molins, « signifie invoquer le droit, alors que les repentances invoquent la morale ». Kofi Adu Manyah ajoute : « Tous les fils, petits-fils et arrières petits-fils d’esclave ont souvenance du crime. Ils savent qu’aucune commémoration de l’abolition ne peut remplacer la restitution, les réparations dues au peuple noir du fait de la traite et de l’esclavage atlantique. La restitution est une revendication légitime qui passe par des réparations des pays esclavagistes, essentiellement les nations européennes qui bordent l’Atlantique oriental. ». Yoporeka Somet, quant à lui, remarque que « ce n’est pas en soi l’idée de réparations qui pose tant problème, tout particulièrement, aux pseudo humanistes, mais les seules réparations dues au titre de la traite négrière et de la colonisation ». Aimé Césaire, par contre, est plus réticent : « Je ne veux pas m’opposer, mais je ne défendrais pas tellement cette idée, moi personnellement. Vous savez pourquoi ? Comme ce serait facile ! Pour moi, ce crime est avant tout une affaire morale et sociale. Comme ce serait facile : « Dis donc, ton arrière arrière-grand père nous a volés tant de Nègres, allez, finissons-en, aboule le fric et n’en parlons plus. » Et bien, moi, je pense que c’est impardonnable. Ce n’est pas une affaire d’argent. Mais non. C’est beaucoup plus grave que cela. Comme ce serait facile : « Tu m’as pris cent mille nègres. Combien de Nègres ? Faîtes la multiplication : deux mille ! » Mais non, ce n’est pas cela ! Réparation oui. Il faut que l’Europe reconnaisse ses torts et reconnaisse qu’il est de son devoir d’aider l’Afrique dans les difficultés qu’elle connaît à l’heure actuelle. Difficultés qui sont en grande partie la conséquence de la politique coloniale subie par les Africains. »

 

Une discussion difficile que poursuivent les mouvements de résistance noirs et africains et que nous donnent à mieux connaître cet ouvrage. Quoiqu’il en soit des conclusions qui seront tirées, les Blancs n’ont pas à intervenir dans ce débat - et, dans ce contexte, ceux qui ne portent pas en eux les déchirures de l’esclavage sont tous blancs, même s’ils sont issus d’anciennes colonies et partagent nécessairement avec les Noirs le combat contre le postcolonialisme et le racisme. Si les descendants d’esclaves et de peuples esclavagisés exigent des réparations, ils doivent obtenir réparation.

 

A la question "Est-on sorti de cette mentalité (colonialiste) aujourd’hui ?", Aimé Césaire répond : "Tout dépendra de l’attitude des Nègres. Tout dépend de la manière de se comporter. Vous croyez qu’il suffit de dire ça pour que les Blancs baissent la tête ? Il faudra s’organiser. Il faut être résolu. Il faut montrer une certaine dignité, une espèce de résistance. Pourquoi voulez-vous qu’ils nous fassent des cadeaux ? Mais non. Soyons raisonnables" !

 

S.K.

 

Esclaves noirs, maîtres blancs. Quand la mémoire de l’opprimé s’oppose à la mémoire de l’oppresseur. Sous la direction de Aggée C. Lomo MYAZHIOM, avec les contributions de : Christiane TAUBIRA, Henri BANGOU, Auguste ARMET, Yoporeka SOMET, Kofi Adu MANYAH, Aimé CESAIRE, Buata MALELA, Cyr-Henri CHELIM, Martial ZE BELINGA, Bassidiki COULIBALY, Louis SALA-MOLINS.

Editions Homnisphères, Paris, 2006

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