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12 novembre 2012 1 12 /11 /novembre /2012 13:38

10 novembre 2012
Clément De Boutet-M'Bamba


La RCA, un éternel recommencement: ce pays où l'histoire est vide de sens.

 

Propos généraux

L’avant-projet de la Loi des Finances 2013 comporte les dispositions suivantes (1) :

Proposition 1
 : « Tout citoyen centrafricain âgé de 18 à 64 ans, à l’exclusion des élèves et étudiants, non soumis  à  l’un quelconque des Impôts prévus par le Code Général des Impôts est astreint au paiement d’une « contribution citoyenne » d’un montant de 10.000 Fcfa. Un arrêté du ministre en charge des finances et du budget fixera les modalités de perception. »

Proposition 2
 : « Tout citoyen centrafricain âgé de 18 à 59 ans, résident sur le territoire national est astreint au paiement d’une contribution dite « contribution citoyenne » d’un montant annuel forfaitaire suivant les tranches d’âge ci-après, à l’exclusion des fonctionnaires et agents de l’Etat, assujettis aux impôts prévus par le Code Général des Impôts, des élèves et étudiants.

     - 18 à 39 ans : 5000 Fcfa
     - 40 à 59 ans : 3000 Fcfa

Un arrêté du ministre en charge des finances et du budget fixera les modalités de perception »

Proposition 3
 : « Tout citoyen centrafricain âgé de 18 à 64 ans, résidant sur le territoire national est astreint au paiement d’une contribution dite « contribution citoyenne » d’un montant annuel forfaitaire suivant les tranches d’âge ci-après, à l’exclusion de fonctionnaires et agents de l’Etat assujettis aux impôts prévus par le Code Général des Impôts, des élèves et étudiants.

     - 18 à 39 ans : 1500 Fcfa
     - 40 à 64 ans : 1000 Fcfa

Un arrêté du ministre en charge des finances et du budget fixera les modalités de perception 
».

La « Contribution Citoyenne », une trouvaille d’outre-tombe que le gouvernement a de la peine à finaliser laissant à l’assemblée nationale le soin de trancher. Curieuse démarche quand on sait  que l’assiette fiscale est variable. 


Fiscalité-Fiction

Il apparaît, sur la foi du recensement général de la population de décembre 2003 réactualisé en 2008 que, la structure démographique de la population centrafricaine se répartit comme suit(2) :

     - 0 à 14 ans :        41,9 % soit  1.885.500 personnes
     - 15 à  64 ans :         53,9 % soit  2.425.500 personnes
     - 65 ans et plus :        4,2 % soit 189.000 personnes

Si l’on prend en compte les catégories non concernées par le projet de restauration de l’Impôt per capita version 2013, on peut dire que celui-ci concernerait environ deux millions (2.000.000) de personnes.  Une fois  l’estimation démographique effectuée, cet impôt générerait :

Ø 
Proposition 1 : Vingt milliards de Fcfa (20.000.000.000 Fcfa)

Ø 
Proposition 2 : Neuf milliards de Fcfa (9.000.000.000 Fcfa)
     - 18 à 39 ans : Sept milliards cinq cents millions de Fcfa (7.500.000.000 Fcfa)
     -
40 à 59 ans : Un milliard cinq cents millions de Fcfa (1.500.000.000 Fcfa)

Ø 
Proposition 3 : Deux milliards huit cents cinquante millions de Fcfa
     - 18 à 39 ans : Deux milliards deux cents cinquante millions de Fcfa (2.250.000.000 Fcfa)
     -
40 à 64 ans : Six cents millions de Fcfa (600.000.000 Fcfa).

La fourchette est élastique ! On « comprend » dès lors que le gouvernement qui, dans ses attributions fixe  « …la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat pour l’exercice déterminé compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent. » se défausse.


Un impôt inique

La « Contribution Citoyenne »  rappelle étrangement l’Impôt Personnel Numérique (IPN). Celui-ci concernait tous les hommes à partir de 18 ans excepté les chefs de familles de trois enfants minimum. Chaque contribuable devait payer 2000 Fcfa pour l’IPN auquel s’ajoutait une TA (Taxe additionnelle) de 1500 Fcfa. 

En 1993 il a rapporté Cinq cents millions de Fcfa (500.000.000 Fcfa) à l’Etat centrafricain alors que son assiette théorique était d’environ Un milliard trois cents millions de Fcfa (1.3000.000.000 Fcfa). 

Qui plus est que « Le coût des contrôles (ou de la répression) était bien élevé pour recouvrir des sommes dans chaque cas très faibles » (3)
. Cet impôt, de sinistre mémoire était par-dessus tout inique, d’où une impopularité proverbiale.

L'autorité coloniale avait mis en place un vaste programme d'exploitation des territoires conquis. L’objectif se résumait en l’exploitation éhontée des colonisés au bénéfice des intérêts économiques, politiques et sociaux du colonisateur. Il prenait appui sur deux bases, le travail forcé et une fiscalité arbitraire car non assise sur les revenus : l’impôt per capita.

Si le travail forcé a été aboli en 1946 par la loi Houphouët-Boigny (*), tout au moins dans le texte, l’impôt per capita connut de beaux jours dans l’Afrique postcoloniale et en République Centrafrique rebaptisé Impôt Personnel Numérique.

Jusqu’en 1993 année de sa suppression deux mois après le changement d’Octobre, près de 96% de la population active centrafricaine était assujettie à l’Impôt Personnel Numérique avec les tracasseries des forces de l’ordre et de la justice, une condamnation de trois à six mois pouvait être infligé au contrevenant, la délation…et la misère puisque vivant au dessous du seuil de subsistance.

C’est en cela que réside l’iniquité combien de fois dénoncée de cet impôt.

« Une culture de rente dont les revenue était censé assurer le paiement de l’impôt, le coton, était imposée. En 1936 l’impôt était de 20 F, le kilo de coton-graine valait 0,60 F et les femmes adultes y étaient assujetties.

« C’est donc pour une famille 67 kilos de coton qu’il fallait produire pour s’acquitter des impôts. les rendements étaient très bas, de l’ordre de 200 kg/ha et la superficie obligatoire pour chaque famille était d’une corde, c’est-à- dire une parcelle carrée dont le côté était mesuré par une corde de 70 mètres, soit une superficie de 0,5 hectares. Dans ces conditions, la plus grande partie de la récolte était nécessaire pour couvrir l’impôt qui était d’ailleurs perçu le jour du paiement de la collecte
. » (4).

Peu ou prou de changements après le 13 aout 1960, le taux de paupérisation des Centrafricains se maintenait, s’accélérait même.


Une réalité sociale dramatique : Chômage, sous-emploi, pauvreté extrême

Avec une population active estimée à 2.425.000 personnes soit 53% de sa population globale, la République Centrafrique abrite derrière les chiffres et les statistiques, une réalité sociale néandertalienne. Si le taux de chômage officiel était de 8% en 2001, il est passé à 20,6% en 2012 sans compter le taux de sous-emploi en fait du chômage déguisé.

Si l’on considère les critères d’éligibilité à l’IPN pour calculer le taux de chômage réel, celui où la précarité professionnelle est incluse en ayant à l’esprit que 90% des emplois en Centrafrique proviennent de l’informel, on a les réalités suivantes :
     - Environ 30.000 fonctionnaires soit  1,2% de la population active ;
     - Environ 55.000 salariés du privé (personnes ayant un salaire régulier et mensuel) soit 2,2% de la population active ;
     - Environ 2.170.500 personnes relevant du domaine agricole soit 86,1% de la population active ;
     - Environ 254.500 personnes sans activité soit 10,5% de la population active ;

 

Force est de constater :

     - D’une part ceux qui disposent d’une stabilité professionnelle avec un salaire mensuel et qui représentent 3,2% de la population active soit 85.000 personnes avec la plus faible grille salariale de la zone CEMAC (secteurs publics et privés confondus)…et 
     -
D’autre part les précaires, pas de salaire mensuel ni indemnité, soit 96,8% de la population active c’est à dire 2.425.000 personnes.

Ce serait cette seconde catégorie, qui sera assujettie à la « Contribution Citoyenne ».  Rien que de pauvres hères, croupissant dans des conditions immondes.

Les réalités sont dramatiques :

Au niveau des cultures d’exportation (5) les productions de la République Centrafricaine de 2012 ressemblent à celles de l’Oubangui-Chari de 1930 : 

     - Coton-graine : 10.600 tonnes en 2010 ;

     - Café : 5296 tonnes en 2010 ;

Au niveau des produits de consommation locale : manioc, banane, maïs….l’on a constaté une contraction de la production. L’offre ne répond plus à la demande, elle-même bridée : faible pouvoir d’achat, traitement des fonctionnaires non revalorisé depuis une éternité. Résultat : inflation au niveau du panier de la ménagère, pénurie, famine, mortalité…une somalisation méthodique et silencieuse.

A cela il faut ajouter la dégradation des infrastructures routières qui affecte les revenus des agriculteurs centrafricains. Or ces derniers constituent 86% de la population active, les principaux concernés par la « Contribution Citoyenne ».

Quelle est la cause des difficultés financières chroniques de l’état centrafricain ?

Depuis le 13 aout 1960 jusqu’à ce jour, la République Centrafricaine n’a jamais eu un budget équilibré. D’ailleurs le crédo des libérateurs depuis 2003 puis des ouvriers en 2005  est : « il suffit d’un rien, d’un petit coup de main ou de souffle et la Centrafrique redémarrera ».

La finalité de tout impôt est de financer les dépenses publiques, de contribuer à la régulation de l’économie et de procéder à une redistribution sociale. Certes son principe repose sur un engagement citoyen avec son corollaire la solidarité. Or de nos jours, l’Etat centrafricain est un état failli. Il n’assure pas, loin s’en faut, de protection sociale à ses citoyens. Les dispensaires et les hôpitaux sont des mouroirs, l’école payante bien qu’offrant des infrastructures lunaires,  les routes sont retournées à la nature, l’environnement se dégrade, l’insalubrité s’installe…Une contribution financière sans les avantages attendus d’un Etat, peu importe qu’il soit de providence ou pas, est abjecte sinon criminelle.

Jouant sur cette fonction originelle, le gouvernement a créé il y a quelques semaines un artefact de 20.000 Fcfa sur tous les titres de transport au départ et à destination de la République Centrafricaine par la voie aérienne. L’objectif de cette taxe est de financer paraît-il le remboursement du prêt de 60 milliards de Fcfa destinés aux travaux de rénovation de l’Aéroport International Bangui-M’poko. Une nouvelle blague fiscale « made in Touadera III »  après celle du Gateway unique.

A l’heure où tous les pays de la sous-région même le dernier né, le Sud-Soudan, prennent le chemin du développement en innovant et en modernisant les mécanismes de financement et en initiant des grands travaux pour s’arrimer définitivement à la modernité et le 21ème siècle, le retour déguisé de l’Impôt Per Capita près de cent dix ans(110) ans après sa création et 19 ans après sa suppression est une insulte à l’intelligence du Centrafricain, à sa souffrance et à sa grande Histoire.

L’unique interrogation que les actuelles autorités doivent se poser est la suivante : quelles sont les causes des difficultés financières chroniques de notre pays depuis 1960 en général et en particulier depuis 2005 ?


Epilogue : une usine à gaz

Les femmes centrafricaines qui constituent 52% de la population et les jeunes  de 18 à 35 ans sont les plus concernés par le retour déguisé de l’Impôt Per Capita. Or ceux-ci sont les plus touchés par le chômage, le sous-emploi, la pauvreté, la précarité, l’exclusion…etc.

L’article 15 de la Constitution du 27 décembre 2004 écrit expressis verbis : « Tous les Citoyens sont égaux devant les charges publiques et notamment devant l’impôt ». Cette égalité se fonde sur une imposition éthique et la solidarité. Le projet de création de ce nouvel impôt aura des incidences tragiques car la situation économique et sociale du Centrafricain est désastreuse. Mieux encore, nous assistons à la violation du principe constitutionnel de cette égalité fisclae. Et il conviendra à ce que Nous, Peuple de Centrafrique ; fassions échec à cette nouvelle « blague made in Touadera III » si l’Assemblé Nationale validait ce projet de loi par une saisine de la Cour Constitutionnelle.

La courbe de Laffer enseigne que « les hauts taux tuent les totaux » traduction « trop d’impôts tue l’impôt ».

Nulle part dans l’actualité fiscale mondiale de ces derniers temps, on a vu l’Etat prendre chez les pauvres pour financer ses objectifs. Tous ceux qui ont osé le faire, ont fini par en payer le prix politique.

Aucune fiscalité dans le monde et en Afrique ne se fait sans assiette réelle. Ceux qui tentent le retour déguisé de l’Impôt Per Capita, sont vraiment hors du temps…et le peuple centrafricain va leur indiquer la porte de sortie car loin d’être la concrétisation d’une promesse électorale, la suppression de l’Impôt Personnel Numérique à partir de 1994 est une conquête sociale et politique qu’aucune gymnastique budgétaire n’est autorisée à remettre en cause.


Post-Scriptum
: Les femmes représentent 52% de la population centrafricaine mais elles constituent la catégorie qui est la plus touchée par la pauvreté, le chômage, le sous-emploi, la famine, les IST, le VIH, l’analphabétisme…Or le projet de lois des finances 2013 dans son chapitre réintroduisant l’Impôt de Capitation ne fait aucune distinction entre les hommes et les femmes.



1 : Le Confident n°3079 du 29 Octobre 2012. Projet de Loi présenté le 09.11.12 à l’Assemblé Nationale.

2 : RGPH 2003, Gouvernement Centrafricain
3 & 4 : Alain LEROY, Abel  MAZIDO : Patassé supprime les impôts : un rêve d’Ange-Heureux in Politique Africaine n° 53 mars 1994.
5 : déclaration de politique générale du PM Faustin Archange Touadera, 18 mai 2011, Bangui (RCA).
* : Loi n° 46-645 du 11 avril 1949

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