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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 17:55

30 janvier 2011

Source: Noir, fier et conscient

 

 

La situation linguistique de l'Afrique (noire) contemporaine en plus d'être singulière, et peut-être même historiquement inédite est désastreuse. Singulière car l'Afrique sub-saharienne est le seul endroit au monde où les langues maternelles d'une région donnée n'ont pour la plupart aucun statut officiel, sont très magnanimement utilisées dans les médias, l'éducation, l'administration et les autres domaines de la vie sociale. Désastreuse car celui qui naîtra Africain en Afrique ne comprendra pas pleinement l'environnement dans lequel il se trouve plongé.

 

Aux origines de cette situation se trouve la décolonisation, lors de laquelle les nouveaux pays multi-ethnique voulurent maintenir l'unité nationale en conservant la langue du colonisateur afin de ne privilégier personne et de choisir la langue de personne, de plus la colonisation avait transmis d'horribles préjugés sur les langues Africaines qui apparemment ne permettaient pas de réflexion élaborée et n'étaient pas compatibles avec la "modernité", chaque pays eut à coeur d'exagérer le nombre de langues parlées dans ses frontières sans même relativiser ou mettre en avant le fait que nombre de ces "langues" n'étaient que des dialectes intercompréhensibles d'un même ensemble linguistique. Un demi siècle plus tard le souhait de faire disparaître les langues indigènes n'a heureusement pas abouti, le pays où la langue coloniale est la plus parlée est la Côte d'Ivoire avec 40% de locuteurs du français or parmi ces 40% de francophones bien moins nombreux sont ceux qui maîtrisent le français convenablement. Or la langue n'est pas un simple élément culturel décoratif, en réalité cette configuration linguistique a des conséquences intellectuelles et sociales dramatiques.

 

Les psychologues et les psychiatres sont unanimes sur ce poit: la langue maternelle est la langue du cerveau, l'enfant reconnait ses sonorités avant même qu'il ne vienne au monde, c'est la langue des rêves, elle forme les mécanismes de la pensée, les moules psychiques. Dans de nombreux pays Africains, les rares enfants qui ont la chance d'être scolarisés en plus de l'être dans des conditions déplorables (classes surchargées, manque de matériel, alimentation insuffisante) sont confrontés à un enseignant s'exprimant dans une langue qu'ils ne comprennent pas, il en résulte un taux incomparable d'échec scolaire, d'abandon et même chez ceux qui par chance poursuivent leurs études les lacunes sont nombreuses et même insurmontables. Face à cette problématique, de nombreux pays se sont résolus à effectuer les premières années dans les langues maternelles des enfants et les résultats furent probants avec des taux de réussite nettement supérieurs notamment en matière d'alphabétisation mais dans la totalité des cas, la suite des études s'effectuait dans la langue coloniale ce qui une fois de plus vient entraver le développement intellectuel notamment lorsque les enseignements se font plus complexes. Le problème éducatif est majeur pour une société puisque l'insuffisance éducative crée nécessairement une incompétence chronique et cela jusque dans les plus hautes sphères de la société où les adultes éduqués ne maîtrisent à convenance ni leur langue maternelle souvent par oubli volontaire, ni la langue coloniale qu'ils ont apprise mais qu'ils n'ont pas l'occasion de pratiquer de manière optimale, le vocabulaire est alors limité, la syntaxe et la grammaire approximatives. Ce parler et donc cette intelligence très appauvrie en plus de handicaper les adultes se transmet aux enfants qui héritent alors des mêmes tares que leurs enfants. Cela est encore accru par le fait que les langues maternelles et les langues coloniales appartiennent à des groupes linguistiques très éloignés, les schémas de réflexion sont difficilement abordables pour celui qui est contraint à jongler entre les deux langues, les pensées que les unes et les autres véhiculent se révèlent plutôt incompatibles avec par exemple le Français, l'Anglais et le Portugais bien peu élogieux envers les Africains; là où les langues Africaines comprendront le mot "homme" comme "homme noir" et désigneront les occidentaux (hommes blancs) par des termes différents tels que Toubab en Wolof ou Wazungu en Swahili, les langues Européennes comprendront "homme" comme "homme blanc" et celui qui voudra parler d'homme noir devra alors préciser "homme noir" ou encore "nègre".

 

Socialement, les langues coloniales excluent la majorité de la population qui ne les parlent ni ne les comprennent; elles créent un fossé entre les élites "colonophones" et les masses "afrophones". Les conséquences sont là encore catastrophique tant pour les élites que pour les masses. Les élites intellectuellement ramollies par cette schizophrénie linguistique même de bonne volonté ne peuvent exprimer clairement leur pensée, pas avec la précision que confère une langue maternelle. L'intercompréhension est également entravée par le fait que chacun tente de traduire sa langue respective dans une langue étrangère appauvrie pouvant être comprise différemment par l'interlocuteur qui aura traduit la langue coloniale dans la langue de son cerveau tout ça évidemment avec le temps de réflexion nécessaire à la traduction.

 

Pour les masses, l'incompréhension naturelle est un frein pour l'intégration sociale, la non compréhension de la langue coloniale prive de perspectives professionnelles et dans la vie de tous les jours la langue parlée est le principal marqueur d'appartenance à un groupe ethnique donné, chose grave dans des pays où la cohabitation inter-ethnique est difficile voire même impossible. La langue coloniale n'a même pas eu l'effet fédérateur que certains espéraient d'elle, les conséquences furent même contraires au but souhaité puisque celui qui sera contraint à s'adresser dans la langue coloniale à son interlocuteur marquera d'office sa différence ethnique, l'interlocuteur lui ne le considérera alors pas comme l'un des siens car que l'on le veuille ou non, l'ethnie reste le repère social de référence des Africains très loin devant l'Etat qui lui est une construction relativement abstraite.

 

Cependant les choses timidement changent ici et là, dans le domaine éducatif les langues maternelles sont de plus en plus utilisées dans l'enseignement primaire, quant aux langues locales autres que la langue maternelle de l'individu, il est apparaît à certains que s'adresser à quelqu'un dans sa langue maternelle est le meilleur moyen de se faire accepter de lui, ce n'est évidemment pas un scoop mais la demande en apprentissage des langues locales est croissante si bien que certains pays préparent des programmes scolaires dans lesquels les langues locales sont érigées en matières à part entière avec en plus des cours de linguistique, des cours de civilisation permettant de mieux connaître le groupe ethnique attaché à la langue étudiée.

 

Il serait bête de s'arrêter en si bon chemin... Tout d'abord, loin d'être incompatibles avec les sciences, l'économie et les technologies les langues Africaines souffrent de lacunes dues à l'absence d'institutions les contrôlant donc elles doivent absolument se doter d'institutions réglementant leur orthographe et leur grammaire, elles doivent être standardisées puis enrichies d'un lexique attaché aux choses du monde contemporain sans pour autant ajouter en elle des concepts qu'elles ignorent comme le "racisme" ou "l'hérésie". Construire un lexique nouveau est très simple, il existe deux méthodes la première est la méthode "islandaise" également utilisée dans la langue Yoruba, elle est très poétique et met en relation la nature et les éléments culturels avec les choses du monde moderne par exemple en Yoruba l’électricité se traduit en "puissance de Shango" du nom de la manifestation divine attachée à la foudre. L'autre méthode est la plus courante, il s'agit de former de nouveaux mots avec les éléments d'une langue ancienne adaptés aux sonorités et à la configuration des mots d'une langue moderne. En Afrique il peut s'agir de l'Egyptien ancien, du Ge'ez, du Méroïtique ou encore du Mandingue, de l'Haoussa et du Peul médiéval tels qu'ils sont écrits dans les manuscrits des villes sahéliennes, le Français et l'anglais sont truffés de ce genre de mots qui pour la plupart ne datent que du XIXème siècle tout au plus.

 

Une fois que nos langues nous permettent d'exprimer tout ce que nous avons à désigner, nous devons les utiliser sans retenue. Dans l'éducation, tout enfant doit effectuer ses premières années d'études dans sa langue maternelle, aussi insignifiante soit-elle dans le secondaire c'est la langue locale  la plus parlée dans la région de l'etablissement ou l'ensemble de dialectes locaux standardisés en une seule langue qui doivent-être utilisés, dans le supérieur où les enseignements sont très complexes il n'est pas question de céder à la tentation coloniale, là encore c'est à la langue utilisée dans le secondaire dans la région d'être en usage. En matière d'apprentissage des langues, la priorité doit être donnée aux langues locales avec au moins un choix de deux langues en LV1 de préférence une langue commune à tout le pays, celle de la capitale ou même une langue Africaine érigée en langue panafricain et la langue d'une région voisine; en LV2 on peut étendre par établissement les choix à trois ou quatre langues dont la langue de la capitale ou la langue panafricaine pour ceux qui ne l'auraient pas prise en premier choix, l'anglais ou une autre langue locale parlée dans une région proche de l'établissement. Enfin, en LV3 facultative le choix peut-être illimité avec une attention toute particulière pour les langues du pays et des pays voisins.

 

Dans l'administration, les langues utilisées doivent-être celles des administrés même si les employés d'une administration ne doivent se priver de parler la langue qu'ils maîtrisent tous à convenance qu'elle soit locale ou coloniale, les médias également doivent utiliser la langue de leur auditoire, radio mille collines a bien su le faire pour appeler au génocide mais bizarrement lorsqu'il s'agit d'informer sur des sujets d’intérêt publique les médias savent bien utiliser la langue que personne ne comprend afin de maintenir la masse dans une crasse ignorance.

 

Il y a fort à parier que la décolonisation linguistique sera la première des décolonisations, plus les Africains se détourneront de la francophonie, plus ils se détourneront de la françafrique, de plus l'émergence  d'un élite afrophone en phase avec sa région pourrait et non eurocentrée pourrait bien changer la donne en faveur des populations Africaines. De même, la géographie humaine pourrait bien être affectée par le changement linguistique puisque les individus préféreront pour sûr concentrer leurs efforts dans leur région où tout le monde se comprend plutôt que s'entasser et de se marcher les uns sur les autres dans des capitales construites pour et par les colons, cela pourrait donc se traduire par une forte croissance urbaine des les provinces et un certain dépeuplement des capitales Qui dit urbanisation normalement dit développement, les zones rurales très marginalisées devraient se retrouver désenclavées par l'apparition de bourgades où les services sont plus accessibles, un tourisme intra-frontalier peut également fleurir naissant de la volonté qu'ont les uns et les autres de découvrir les spécificités culturelles et naturelles propres à telle ou telle région. La décentralisation humaine peut également mener à une amélioration de l'aménagement territorial, à une meilleure intégration nationale, sous-régionale puis continentale changeant radicalement la configuration des infrastructures qui passeraient alors d'un modèle " intérieur du pays -> régions côtières -> métropole, comprendre occident ou Chine" pour un modèle multipolaire visant à intensifier les échanges intérieurs et sous-régionaux au détriment des échanges intercontinentaux destructeurs.

 

Or, les élites "colonophones" en place sont-elles à même d'accepter cette re-configuration cette décolonisation mentale, qui entraînerait à coup sûr une meilleure organisation de la société civile, des regroupements ethno-linguistiques provoquant des revendications autonomistes voire indépendantistes ou même panafricanistes naissant de l'acceptation de l'autre qui ne serait alors plus perçu comme un étranger mais comme un frère mais aussi parce que de nombreuses langues sont transfrontalières et peuvent même être parlées dans une dizaine de pays comme la langue Peule et son espace fulbophone s'étendant sur 3600km entre l'Adamawa et l'embouchure du fleuve Sénégal. Sont elles prêtes à accepter que se creuse à leur désavantage le fossé entre la nation élitiste colonophone et la réalité populaire afrophone à laquelle elles se retrouveraient étrangères. De tout ça on peut conclure que l'intégration linguistique en Afrique doit se poursuivre avec ou sans la volonté des gouvernements.

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